le XXe siecle 2

Monday, September 11, 2006

le XX siecle 2

PROUST (Marcel), 1871-1922

Marcel Proust est né à Paris en 1871, dans une famille de la grande bourgeoisie parisienne. Il a une enfance choyée, mais souffre de crises d'asthme. Il fait ses études au lycée Condorcet, puis à la Sorbonne où il suit les cours de Bergson. Il ne tarde pas à fréquenter les salons mondains où il se lie avec des représentants de l'aristocratie, et acquiert une réputation d'homme de goût. Proust publie en 1898 Les Plaisirs et les Jours, mais ne s'adonne qu'en dilettante à la littérature, comme en témoigne un roman, Jean Santeuil, qu'il ne fait qu'esquisser. Il traduit aussi deux œuvres du critique d'art et sociologue John Ruskin, et en compose les Préfaces. Il fait un voyage à Venise en 1900. Mais, à la suite du décès de son père et de sa mère, respectivement en 1903 et 1905, il devient de plus en plus sensible aux crises d'asthme et se retranche du monde dans son appartement parisien. Outre une vie mondaine qu'il n'abandonne pas totalement, il passe le plus clair de son temps à écrire. Il se consacre tout d'abord à la critique littéraire et compose l'ouvrage qui sera publié après sa mort sous le titre de Contre Sainte-Beuve. Il écrit son premier roman, Du côté de chez Swann, mais son manuscrit est refusé par Gallimard. Il finit par l'éditer à compte d'auteur, chez Grasset en 1913. L'ouvrage ne suscite alors que peu de réactions et c'est seulement après la guerre, en 1919, que Proust est reconnu grâce à son second roman, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, qui obtient le prix Goncourt. Il se consacre désormais à une harassante activité littéraire et publie Le Côté de Guermantes en 1920, puis Sodome et Gomorrhe en 1922. Mais sa mort prématurée vient interrompre son œuvre, et il laisse inachevés les derniers volumes de cette vaste fresque qu'est À la recherche du Temps perdu, à savoir : La Prisonnière, Albertine disparue (ou également appelé La Fugitive), et Le Temps retrouvé. Ces derniers volets de son œuvre seront publiés peu de temps après sa mort.

En écrivant "Longtemps je me suis couché de bonne heure", Proust inaugure la Recherche du Temps perdu, et avec elle, l'une des œuvres majeures de la littérature en prose du XXe siècle. La Recherche est un ensemble de sept volumes qui se donnent à lire comme le récit d'une quête de la mémoire. À la fois roman psychologique, et peinture de la vie mondaine, elle est en rupture avec une grande fresque comme La Comédie humaine de Balzac, par la façon dont tout est vu à travers le prisme de la subjectivité du narrateur. Ce qui importe désormais n'est pas tant le récit lui-même, que la manière dont la réalité est perçue et vécue. Grâce à une phrase longue et sinueuse, où se multiplient les incises, Proust plonge le lecteur dans le processus même de la mémoire et fait du sujet central de cet immense roman, la manière complexe dont les événements passés nous reviennent.

Influencé par la philosophie de Bergson, Proust fait du temps un être double. Le premier temps est, bien sûr, le présent dans lequel les personnages sont pris, et qui s'écoule linéairement. Mais il existe un deuxième temps, bien plus important, qui est celui de la "réminiscence". Proust nomme ainsi cet événement qu'est la redécouverte d'une sensation déjà éprouvée par le passé, comme le goût d'une madeleine trempée dans du thé. Dans cette impression qui nous surprend au détour d'une action, renaît le temps évanoui. Car la superposition simultanée du passé et du présent fait jaillir l'impression fugitive et évanescente d'un temps absolu, c'est-à-dire d'un temps perdu retrouvé.



Le présent vécu du narrateur est ainsi traversé de milliers de souvenirs prêts à resurgir. Peu à peu, il découvre que le temps dans lequel nous vivons est un temps de destruction et de décrépitude où les êtres vieillissent et meurent, alors que le temps du souvenir est le seul qui compte réellement. Et ce temps, il n'y a que l'œuvre d'art qui soit capable de le restituer. C'est ainsi que dans Le Temps retrouvé, dernier volet de la Recherche, le narrateur prend la décision d'écrire une œuvre pour ne plus subir passivement le temps qui fuit. Et c'est avec cette décision, qui met en abyme l'œuvre elle-même, que le lecteur est invité à relire l'œuvre d'un temps enfin retrouvé. Le cycle de la Recherche se referme sur cette découverte : le temps retrouvé n'est autre que l'œuvre elle-même.


Œuvres principales :


• Les Plaisirs et les Jours (1896).

• Traduction : La Bible d'Amiens de John Ruskin ((1904).

• Traduction : Sésame et les lys de John Ruskin (1906).

• Du côté de chez Swann (1913).

• À l'ombre des jeunes filles en fleurs (1918).

• Pastiches et Mélanges (1919).

• Le Côté de Guermantes I (1920).

• Le Côté de Guermantes II (1921).

• Sodome et Gomorrhe I (1921).

• Sodome et Gomorrhe II (1922).

• La Prisonnière [ou La Fugitive] (posthume, 1923).

• Albertine disparue (posthume, 1925).

• Le Temps retrouvé (posthume, 1927).

• Jean Santeuil (posthume, 1952).

• Contre Sainte-Beuve (posthume, 1954).

COLETTE (Sidonie Gabrielle), 1873-1954

Gabrielle Colette est née en 1873 dans l'Yonne et passe son enfance dans la demeure familiale qu'elle évoquera à de nombreuse reprises dans ses romans. Elle épouse, à l'âge de vingt ans, l'écrivain Henry Gauthier-Villars, connu sous le nom d'auteur de Willy. Elle écrit avec lui la série des Claudine, quatre petits romans qui obtiennent un grand succès, en partie dû au scandale qu'ils provoquent. Après avoir rompu avec son mari, elle mène quelque temps une vie indépendante qui la mène au music-hall, et dont elle s'inspirera pour écrire La Retraite sentimentale (1907), Les Vrilles de la vigne (1908), La Vagabonde (1910), L'Envers du music-hall (1913). Elle épouse en deuxièmes noces Henry de Jouvenel, rédacteur en chef du Matin, et donne naissance à une fille, Bel Gazou, en 1913. Elle écrit alors de plus en plus et publie, entre autres, Chéri en 1920 et La Maison de Claudine en 1922, Le Blé en herbe en 1923, La Naissance du jour en 1928, Sido en 1930, et La Chatte en 1933. Elle se marie une troisième fois en 1935, avec Maurice Goudeket. Ses œuvres remportent toutes un grand succès populaire. À la faveur de cette popularité grandissante, elle est élue à l'Académie royale de Belgique en 1936, puis se voit décerner la Légion d'honneur en 1953, un an avant sa mort.

Les romans de Colette, même s'ils évoquent des événements vécus, et sont écrits à la première personne du singulier, ne sont pas pour autant autobiographiques. Les personnages de Claudine, Annie ou Renée sont les véritables héroïnes. Les récits sont ainsi à une certaine distance de la vie de Colette, ce qui lui permet de déployer son imagination romanesque. Mais ce procédé permet également de créer une intimité propre à envoûter le lecteur et le faire pénétrer dans un univers où domine l'évocation sensuelle de la nature dans tout ce qu'elle a de plus beau.

En effet, outre les romans qui, comme L'Entrave (1913) ou Duo (1934), se nourrissent de ses propres expériences de la vie conjugale, Colette aime à exalter avec lyrisme son amour de la nature. C'est ainsi que, dans la plupart de ses romans, en particulier ceux qui retracent ses souvenirs d'enfance, comme La Maison de Claudine ou Sido, la nature est magnifiée. Les phrases, souvent saturées par l'émerveillement des sens, dessinent un univers fait d'harmonie et de grâce. Quand elle évoque les animaux, les saisons, ou les fleurs, Colette les décrit comme les seules choses qui soient véritablement à l'abri de la bêtise de l'humanité. On peut voir là un paganisme qui ferait, de tous les êtres de la nature, la manifestation d'une divinité. Il est vrai que la religion est absente de l'œuvre de Colette, si ce n'est sous cette forme. Chaque émotion devient ainsi un symbole renvoyant à l'unité organique de la vie dans ce qu'elle a de plus simple et de plus immédiat. Et c'est là déjà tout un programme poétique que Colette a su adapter à la prose.

Œuvres principales :

• Série des Claudine (Claudine à l'école, Claudine à Paris, Claudine en ménage, Claudine s'en va) 1900-1903.

• Les Vrilles de la vigne (1908).

• La Vagabonde (1910).

• L'Entrave (1913).

• Mitsou ou Comment l'esprit vient aux filles (1919).

• Chéri (1920).

• La Chambre éclairée (1920).

• La Maison de Claudine (1922).

• Le Blé en herbe (1923).

• La Femme cachée (1924).

• L'Enfant et les Sortilèges (1925), livret, sur une musique de Maurice Ravel.

• La Fin de Chéri (1926).

• La Naissance du Jour (1928).

• Sido ou les Points cardinaux (1930).

• Douze Dialogues de bêtes (1930).

• La Chatte (1933).

• Duo (1934).

• Gigi (1944).

APOLLINAIRE (Wilhelm Apollinaris de KOSTROWITZKY, dit Guillaume), 1880-1918

Guillaume Apollinaire est né à Rome en 1880, d'une mère polonaise et d'un père italien. Il fait ses études à Monaco, et s'installe à Paris en 1899. Après plusieurs petits métiers, il devient précepteur de la fille de la vicomtesse de Milhau et tombe amoureux d'Annie Playden, entrée comme gouvernante dans cette famille. Mais, au cours d'un voyage à Londres, il se voit refuser sa main. Cette déception sentimentale lui inspirera les vers de l'un de ses plus célèbres poèmes, la Chanson du mal-aimé. À partir de 1903, il fréquente les groupes d'avant-garde et rencontre Alfred Jarry, Max Jacob, Vlaminck, Derain, Picasso, et Marie Laurencin avec laquelle il se lie en 1907. Outre deux romans pornographiques, il publie son premier ouvrage poétique en 1909 : L'Enchanteur pourrissant, puis L'Hérésiarque et Cie (1910), et Le Bestiaire ou Cortège d'Orphée (1911). Mais c'est la publication d'Alcools en 1913 qui le fait réellement connaître. Il rencontre Lou en 1914, et celle-ci lui inspire un amour charnel dont sa correspondance témoigne de l'ardeur. Porté volontaire, il part pour le front où il est blessé par un éclat d'obus. Il revient alors à Paris et reprend ses activités littéraires. Il formule les enjeux d'une esthétique moderne dans un manifeste, L'Esprit nouveau, publie le recueil Le Poète assassiné (1916), et fait représenter un drame surréaliste, Les Mamelles de Tirésias (1917). Il publie également Calligrammes (1918) où il entame un nouveau travail sur la présentation des poèmes. Mais, victime d'une épidémie de grippe espagnole, il meurt prématurément en 1918.

Apollinaire est à la rencontre des influences issues du XIXe siècle, et des nouveaux courants qui se dessinent au début du XXe siècle. En cela, il est un écrivain de transition. Du XIXe siècle, il hérite le romantisme et le symbolisme poétique. Il mêle ainsi, à des thèmes d'inspiration comme la solitude, la mélancolie, ou l'échec amoureux, le temps, ou la mort, des images insolites qui déroutent le lecteur par les analogies qu'elles établissent entre les choses. Ce mélange d'inspirations se retrouve jusque dans le choix d'un vocabulaire parfois précieux, et l'utilisation d'allusions mythologiques, pour thématiser la modernité. Car Apollinaire est un passionné d'art moderne, tout en étant respectueux de la littérature classique. Ses critiques d'art témoignent d'une rare sensibilité à l'égard des œuvres de peintres qui, comme le Douanier Rousseau, sont aujourd'hui célèbres, mais qu'il a, en quelque sorte, révélés au public. Par là même, il a cherché à définir l'art nouveau.

Contemporain et amateur des premières recherches des peintres cubistes, il utilise, dans Alcools, leur procédé de superposition. Ce recueil de poèmes, écrits entre 1898 et 1913, ne respecte aucun ordre chronologique. Il exploite, dans un poème comme Zone, ce procédé d'accumulation qui donne au lecteur une impression de vitesse et de vertige tant les images se succèdent sans ordre apparent. L'impression d'ivresse est ainsi recréée. Les célèbres vers :"Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie / Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie", illustrent bien comment Apollinaire procède pour enchaîner les images poétiques par rebondissements successifs et déplacements sémantiques.

Apollinaire a également cherché une nouvelle esthétique typographique dans Calligrammes. Le poème Il pleut, par exemple, rend visuellement la signification des vers en les présentant verticalement, comme autant de gouttes de pluie. De même, en supprimant dans ce recueil la ponctuation, originalité qui était déjà présente dans Alcools, il laisse le lecteur libre de fixer lui-même le rythme du poème en infléchissant sa lecture là où bon lui semble. Ces diverses tentatives avant-gardistes nous font dès lors mieux comprendre pourquoi c'est à lui que le courant surréaliste doit son nom, mais également ses premières innovations.

Œuvres principales :

• L'Enchanteur pourrissant (1909).

• Hérésiarque et Cie (1910).

• Le Bestiaire ou Cortège d'Orphée (1911).

• Alcools (1913).

• Les peintres cubistes, méditations esthétiques (1913).

• Le Poète assassiné (1916).

• Les Mamelles de Tirésias (1917).

• Calligrammes (1918).

• Il y a (publication posthume, 1925).

CÉLINE (Louis-Ferdinand DESTOUCHES, dit Louis-Ferdinand), 1894-1961


Louis-Ferdinand Destouches est né à Coubevoie en 1894. Il commence sa vie en multipliant les petits métiers, avant de se porter volontaire en 1914. Grièvement blessé dès la première année du conflit, il quitte le front. Entre 1919 et 1923, il fait des études de médecine puis entre au service d'hygiène de la Société des Nations et accomplit plusieurs voyages. Il s'installe en région parisienne en 1927, et commence à écrire. Il publie, en 1932, Voyage au bout de la nuit, qui obtient le prix Renaudot, puis L'Église en 1933, et Mort à crédit trois ans plus tard. Violemment anticommuniste et antisémite, il publie des pamphlets orduriers comme Bagatelles pour un massacre en 1937, et l'École des cadavres l'année suivante. Il collabore activement durant la guerre, puis inquiété à la Libération, il part en 1944 pour l'Allemagne, puis le Danemark où il est emprisonné l'année suivante. Jusqu'en 1951, année où il est amnistié, ses engagements politiques lui valent de nombreux démêlés avec la justice. Puis, jusqu'à sa mort en 1961, il publie de nouvelles œuvres dont Normance en 1954, Entretiens avec le professeur Y en 1955, puis D'un château à l'autre en 1957.

L'œuvre de Céline est aussi novatrice par son style, que déconcertante par sa portée. Partisan d'un pessimisme qu'il érige en seul point de vue possible, il ne laisse subsister aucun espoir. Dès Voyage au bout de la nuit, il choque en créant un univers crépusculaire dans lequel est plongé le héros, Bardamu. Les événements, les lieux géographiques, et les motifs psychologiques des personnages sont dénués de toute grandeur. L'univers célinien, qui annonce l'absurde de Sartre ou de Ionesco, est orienté vers cette unique et inéluctable réalité qu'est la mort. Tout semble répéter que le seul but de l'existence est de survivre, et surtout de ne pas se laisser aller à espérer un mieux être. L'avenir, le passé, le présent sont insignifiants, et c'est avec un cynisme affiché que Céline vilipende les valeurs morales sur lesquelles repose la société.

Cette atmosphère angoissante imprègne tous les êtres. Le narrateur, qui lui-même va d'échec en échec dans la succession des séquences du roman, est le témoin de ce désastre généralisé. La matière, les corps, la chair, sont les seules véritables réalités qui gouvernent le monde. L'écriture de Céline procède comme un scalpel : elle dissèque le monde et restitue une image, sans aucune complaisance, de la nature humaine.

Mais, par-delà ce pessimisme noir, l'œuvre de Céline est animée par un projet de réforme du style qui va marquer durablement le roman moderne. Avec elle est introduite la langue parlée. Les phrases, entrecoupées d'une profusion de points d'exclamations et de points de suspension, cherchent à recréer les expressions de la rue. La grammaire et la syntaxe y sont malmenées jusqu'à créer une nouvelle musicalité littéraire. L'utilisation de l'argot et d'un vocabulaire souvent vulgaire et ordurier, prend le contre-pied de toute la littérature classique. De plus, seul compte le style aux yeux de Céline. Les idées ne sont d'aucun intérêt puisqu'elles ne font que participer au mensonge et à l'hypocrisie généralisée qui, par définition, se voilent toujours derrière les idées pour ne pas dire les choses telles qu'elles sont. Et ce style, Céline l'exploite de plus en plus dans ses dernières œuvres. Il pousse les exclamations, le ton de la rancune et du ressentiment jusqu'à une vision du monde hallucinée. Dès lors, l'écriture semble se retourner sur elle-même, et ne plus se nourrir que de ses propres effets.

On retrouve ces éléments dans les pamphlets antisémites de Céline. Leur frénésie haineuse, et leur acharnement presque pathologique contre les juifs, les francs-maçons et les communistes, sont les principaux griefs que l'on adresse généralement à Céline. Cette obsession maniaque à l'égard de boucs émissaires est soutenue par sa verve à la fois lyrique et scabreuse. Après la guerre, Céline répondra à une attaque de Jean-Paul Sartre en publiant un petit texte intitulé À l'agité du bocal. Son agressivité débordante ne relança pas le débat avec Sartre, qui préféra ne pas répondre à cette invective où ses propres agissements durant la guerre étaient attaqués.


Œuvres principales :



•Voyage au bout de la nuit (1932).

• L'Église (1933).

• Hommage à Zola (1933).

• Mort à crédit (1936).

• Guignol's Band (1944).

• Scandale aux abysses (1950).

• Casse-pipe (1950).

• Féerie pour une autre fois (1952).

• Normance (1954).

• Entretiens avec le professeur Y (1955).

• D'un château l'autre (1957).

• Ballet sans musique, sans personnes, sans rien (1959).

• Nord (1960).

• Le Pont de Londres (posthume, 1964, suite de h Band)

ÉLUARD (Eugène GRINDEL, dit Paul), 1895-1952

De son vrai nom Eugène Grindel, Paul Éluard est né en 1895. Sa santé fragile l'oblige à arrêter ses études à l'âge de dix-sept ans, et le tient à l'écart du front durant la guerre. Ses premiers poèmes témoignent d'ores et déjà de son indéfectible pacifisme. Il rencontre Gala au cours d'un séjour dans un sanatorium, et l'épouse en 1917. Après la guerre, il fait la connaissance d'André Breton, de Louis Aragon, et de Tristan Tzara, et participe bientôt au mouvement dada, puis au surréalisme. Il adhère au parti communiste de 1924 à 1933. Durant cette période, il compose plusieurs recueils, dont Capitale de la douleur en 1926, et L'Amour, la poésie en 1929. En 1930, il se sépare de Gala, et épouse quatre ans plus tard Maria Benz, autrement appelée Nusch. Il écrit La Vie immédiate en 1932, et rompt bientôt avec le surréalisme. Il compose désormais des poèmes dégagés de l'ascendant du surréalisme. C'est le cas, par exemple, du recueil Les Yeux fertiles (1936), ou de Donner à voir (1939). Ses convictions politiques lui font prendre vigoureusement parti en faveur des Républicains dès le début de la guerre civile espagnole. Durant la Deuxième Guerre mondiale, il entre dans la Résistance, se réinscrit au parti communiste, publie Poésie et Vérité 42 (1942), Au rendez-vous allemand (1944), contenant le poème Liberté, et, après la Libération, continue à militer. Le recueil Poésie ininterrompue rassemble les poèmes écrits durant cette période. Il est suivi du Dur désir de durer qui paraît en cette même année 1946. Mais Nusch meurt, et cet événement blesse Éluard profondément. Il lui consacre un recueil, Le temps déborde, qu'il publie sous le pseudonyme de Didier Desroches en 1947. Son désespoir ne connaît d'apaisement que grâce à la rencontre de sa troisième compagne, Dominique, et grâce à un engagement politique toujours plus actif. Le recueil intitulé Phénix, publié en 1951, un an avant la mort d'Éluard, est emblématique de cette dernière période.

Paul Éluard est un poète en marge du surréalisme. S'il a su trouver dans ce courant un renouveau poétique, en entremêlant dans ses vers le rêve et la réalité, il n'a toutefois pas voulu dépasser les frontières de l'incommunicabilité. Loin de tout hermétisme, et donc des expériences surréalistes audacieuses, Éluard veut avant tout faire de sa poésie une célébration lyrique de la vie, c'est-à-dire du sentiment amoureux, et de l'action dans le monde. Ce sont là deux directions auxquelles se rattachent tous ses recueils.

La poésie est tout d'abord un moyen d'évoquer les sentiments éprouvés pour la femme aimée. Celle-ci a, dans les poèmes d'Éluard, une importance considérable puisqu'elle est la figure qui cristallise tout l'univers par sa simple présence. Grâce à elle, tout ce qui existe prend son sens et sa beauté. Inversement, la perte de l'amour plonge le poète dans le désespoir d'un monde vidé de sa substance. La disparition de celle qui était la médiatrice entre le poète et le monde fait de la Terre un lieu de perdition où tout n'est plus qu'hostilité. Grâce à une langue limpide, à des mots simples, et à un rythme fluide, Éluard suggère ainsi ses élans et ses désespoirs dans des images qui évoquent soit une communion harmonieuse avec les êtres et les choses, soit, au contraire, leur déchirure.

Mais, pour lui, le travail poétique est également une action dans la communauté des hommes. Il formule cette idée dans L'Évidence poétique en 1936, où il écrit cette célèbre phrase : "Le temps est venu où les poètes ont le droit et le devoir de soutenir qu'ils sont profondément enfoncés dans la vie des autres hommes, dans la vie commune." Son engagement politique est ainsi teinté d'un humanisme et d'une générosité qui rendent son adhésion et sa participation au parti communiste très particulières. Loin d'être un idéologue, Éluard combat en faveur de la liberté. Ses poèmes politiques, de plus en plus présents à la fin de sa vie, témoignent de la générosité de ce poète qui a su montrer que l'art poétique pouvait être le ferment de luttes, et le lieu dans lequel se médite l'action.

Œuvres principales :


• Poèmes pour la paix (1918).

• Les Animaux et leurs hommes (1921).

• La Nécessité de la vie et les Conséquences des rêves (1921).

• Mourir de ne pas mourir (1924).

• Capitale de la douleur (1926).

• L'Amour, la poésie (1929).

• La Vie immédiate (1932).

• La Rose publique (1934).

• Les Yeux fertiles (1936).

• L'Évidence poétique (1936).

• Donner à voir (1939).

• Poésie et Vérité 42 (1942).

• Au rendez-vous allemand (1944)

• Poésie ininterrompue (1946).

• Le Dur désir de durer (1946).

• Le temps déborde (1947).

• Le Phénix (1951).

• Tout dire (1951).

• Poésie ininterrompue II (1951).

GIRAUDOUX (Jean), 1882-1944

Jean Giraudoux est né le 29 octobre 1882 à Bellac, dans la Haute-Vienne,
où son père est percepteur. Une scolarité brillante le conduit jusqu'à l'Ecole Normale Supérieure, qu'il intègre en 1903. Recalé à l'agrégation d'allemand en 1905, il entreprend alors une série de voyages, notamment en Allemagne et aux Etats-Unis. Son intérêt pour une Allemagne alors assimilée à l'ennemi qui s'est emparé, après 1870, de l'Alsace-Lorraine signale l'originalité et l'ouverture d'esprit du jeune intellectuel. Revenu à Paris, Giraudoux fréquente les milieux littéraires et journalistiques, avant de réussir brillamment le concours des Chancelleries en 1910.
Mobilisé en 1914, il est blessé deux fois. Le premier conflit mondial met fin
à une jeunesse insouciante. Après 1918, Giraudoux occupe plusieurs postes diplomatiques. Il rêve à la construction d'une Europe fraternelle inspirée
par les idées de Briand. La tâche n'est pas aisée, dans une France gouvernée par une génération d'hommes politiques qui, à l'exemple de Poincaré, entendent tirer le meilleur parti de la victoire remportée sur l'Allemagne en 1918. Dans Bella, paru en 1926, il esquisse l'image des hommes d'Etat visionnaires dont l'époque aurait besoin. Le texte fait scandale au quai d'Orsay et contribue à sa mise à l'écart. Giraudoux peut alors se consacrer entièrement à une activité littéraire profondément influencée par

sa rencontre avec Louis Jouvet en 1928, qui l'engage à privilégier l'expression théâtrale. Les pièces qu'il écrit constituent autant de classiques, qu'il s'agisse de Siegfried (1925), Amphitryon 38 (1929), Intermezzo (1933), La Guerre

de Troie n'aura pas lieu (1935), Electre (1937) ou Ondine (1939).

Parallèlement à son œuvre théâtrale, Giraudoux publie des textes critiques.

Les Cinq Tentations de La Fontaine (1938) et, plus tard, Littérature (1941) révèlent un esprit brillant et spirituel, soucieux d'inventer une littérature susceptible de concerner un public qui ne rêve plus de grands modèles héroïques ou littéraires et à qui l'auteur veut redonner le goût du rêve et de la poésie.

La montée des périls au cours des années 30 conduit Giraudoux à intervenir plus directement dans les affaires politiques. Il publie en 1939 un recueil de conférences intitulé Pleins Pouvoirs, dans lequel il propose une analyse désenchantée de la situation du pays. Homme de culture, il observe avec inquiétude la fascination de ses contemporains pour des idéologies aussi brutales que sommaires et réductrices. En septembre 1939, après la déclaration de guerre, Giraudoux est nommé Commissaire à l'Information, fonction d'autorité que son profil d'humaniste ne le prédisposait pas à exercer. Après la défaite de 1940, il quitte la vie publique, refusant un poste en Grèce que lui proposaient les autorités de Vichy.

Retiré en province avant son retour à Paris en 1942, il se consacre essentiellement à son œuvre, qu'il enrichit de pièces comme Sodome et Gomorrhe (1943) et La Folle de Chaillot (1945, posthume). Il signe l'adaptation au cinéma deLa Duchesse de Langeais (film tourné par J. de Baroncelli en 1941), avant d'écrire Les Anges du péché en compagnie de

R. Bresson (1943). Il meurt en janvier 1944 sans avoir assisté à la Libération de la France.

Giraudoux laisse l'image d'un fin lettré, d'un styliste d'exception et d'un brillant humaniste dont la philosophie personnelle conjugue humour, fantaisie et préciosité. Son principal apport à la littérature réside dans son œuvre théâtrale, qui lui permet de revisiter nombre de mythes antiques exposés par les tragiques grecs. Soucieux d'arracher les hommes à l'emprise de la fatalité et des déterminismes historiques, il s'est fait l'apologiste d'une humanité moyenne, trouvant dans l'exercice du quotidien les composantes d'un bonheur modeste et d'une sagesse équilibrée. Les nuages qui se sont amoncelés au cours des années 30 l'ont pourtant conduit à modifier sa vision du monde dans le sens d'une prise en compte du tragique de la condition humaine.

Œuvres principales :

* Simon le Pathétique (1918)

* Suzanne et le Pacifique (1921)

* Siegfried et le Limousin (1922)

* Juliette au pays des hommes (1924)

* Bella (1926)

* Siegfried (1928)

* Amphitryon 38 (1929)

* Intermezzo (1933)

* La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935)

* Electre (1937)

* Ondine, Pleins Pouvoirs (1939)

* Sodome et Gomorrhe (1943).

* La Folle de Chaillot (1945, posthume)

BRETON (André), 1896-1966

André Breton est né en 1896. La découverte de la poésie, vers sa quinzième année, vient l'arracher à la monotonie de ses années de jeunesse. Il fait des études de médecine et, à l'occasion d'un travail dans un service neuropsychiatrique, découvre la psychanalyse. Il rencontre, à la même époque, Jacques Vaché, qui le marque par sa liberté de pensée, mais également Apollinaire, Philippe Soupault, Louis Aragon, Pierre Reverdy et Paul Éluard. Il suit tout d'abord le mouvement dada animé par Tristan Tzara, mais récuse bientôt ses vues nihilistes et fonde un mouvement radicalement révolutionnaire et novateur : le surréalisme. Il publie les premiers textes qui illustrent sa conception de la poésie : Le Mont de Piété en 1919 puis, en collaboration avec Soupault, Les Champs magnétiques l'année suivante. Après la parution d'un nouveau recueil, Clair de Terre en 1923, Breton établit le programme du mouvement en publiant le Premier Manifeste du surréalisme en 1924, qui sera suivi d'un second en 1930. De nouveaux artistes, dont Francis Picabia, Marx Ernst, Benjamin Péret et René Crevel, se rallient autour de Breton. Il multiplie alors les publications, parmi lesquelles Nadja (1928) est sans doute la plus marquante. Breton adhère au parti communiste et participe activement à l'Association des écrivains et des artistes révolutionnaires. Mais, refusant de voir la doctrine marxiste prendre le pas sur ses recherches, il quitte le parti en 1935. C'est également durant cette période que le mouvement implose : Breton rompt avec Aragon, puis Éluard. Durant ces années, il publie plusieurs écrits, dont Position politique du surréalisme en 1935, et L'Amour fou en 1937. En 1941, il quitte la France pour les États-Unis, et ne revient qu'après la guerre. Breton s'occupe alors d'organiser des expositions internationales d'art surréaliste dans différents pays. Il continue à prendre position sur les questions politiques et publie des essais sur l'art, comme Le Surréalisme et la peinture en 1946, et L'Art magique en 1957. Il meurt en 1966.

L'œuvre de celui que l'on a appelé "le pape du surréalisme" est inséparable de sa volonté de maintenir l'orthodoxie du mouvement. Cette détermination à imposer des règles, dont lui seul pensait être le garant a conduit de nombreux écrivains à prendre leurs distances. Toutefois, cela ne doit pas nous faire oublier qu'aucun autre courant du XXe siècle n'a su rassembler autant de talents que le surréalisme.

Tel que l'a voulu Breton, le surréalisme est une révolte et une affirmation de l'esprit de jeunesse, c'est-à-dire de la faculté de s'émerveiller devant la réalité. Cette révolution, qui porte sur l'origine même de l'inspiration poétique, a su rassembler tous les partisans d'une nouvelle esthétique. Dès la première définition que Breton en donne, le surréalisme est présenté comme la plus pure expression du "fonctionnement réel de pensée". L'influence des théories de Freud est ici capitale : Breton veut changer la réalité, et, pour cela, il faut changer la manière de voir le monde. L'inconscient doit être exploré, et servir de matériau à la littérature. Rien ne doit, par conséquent, entraver la création poétique. L'écriture automatique, qui consiste à laisser vagabonder sa pensée et à noter ce qui vient à l'esprit, est le cas exemplaire du procédé permettant à l'écrivain de s'affranchir des règles esthétiques et morales qui, habituellement, régissent l'acte d'écriture. C'est là un cas limite qui n'a jamais empêché Breton de reprendre et de corriger ses textes, mais il illustre bien l'enjeu qu'il se fixe. Par ailleurs, Breton légitime cette remise en question de l'esthétique classique en dressant dans son Manifeste la liste de ses prédécesseurs qui, comme Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, ou Lautréamont, ont été surréalistes par certains aspects de leur œuvre.

Dans ses premiers recueils en particulier, Breton crée des images poétiques où les rapports établis entre les différents choses déconcertent. Cette hardiesse, qui se manifeste souvent par des incohérences ou des glissements de signification, sont dans la droite ligne de son projet poétique. Mais, théoricien dans l'âme, il aime à revenir sur les tenants et les aboutissants de son esthétique. Dans Nadja, il fait du récit de la rencontre d'une jeune femme mystérieuse le point de départ d'une découverte. Cette découverte n'est autre que la sensibilité et l'étrangeté que le surréalisme cherche à restituer. Le merveilleux, le prophétique, ou les hasards et les coïncidences extraordinaires, sont autant de manifestations qui, à la surface du monde réel et rationnel, nous font entrevoir l'existence d'une autre réalité, plus profonde et plus vraie. Cette remise en question radicale du statut de la réalité peut nous apparaître comme l'aboutissement de la poésie du XIXe siècle, mais c'est également un travail poétique qui va influencer tout le XXe siècle.

Œuvres principales :


• Le Mont de Piété (1919).

• Les Champs magnétiques (1920).

• Clair de Terre (1923).

• Manifestes du surréalisme (1924 et 1930).

• Nadja (1928).

• Union libre (1931).

• Les Vases communicants (1932).

• Le Revolver à cheveux blancs (1932).

• Position politique du surréalisme (1935).

• L'Amour fou (1937).

• Anthologie de l'humour noir (1940).

• Situation du surréalisme entre les deux guerres (1942).

• Le Surréalisme et la peinture (1946).

• Arcane 17 (1947).

• Ode à Charles Fourier (1948).

• L'Art magique (1957).

PRÉVERT (Jacques), 1900-1977

Jacques Prévert est né à Neuilly-sur-Seine en 1900. Après de brèves études, il se rapproche du mouvement surréaliste tout en restant quelque peu en marge de ce courant. Il se fait connaître en publiant sa Tentative de description d'un dîner de tête à Paris-France en 1931, qui brille par l'effet d'accumulation, figure de style qu'il exploitera à de nombreuses reprises par la suite. Il devient scénariste de cinéma et s'illustre particulièrement dans les films de Marcel Carné. Il compose, entre autres, les dialogues de Quai des brumes, Les Enfants du paradis, Les Visiteurs du soir, et Notre-Dame de Paris. Jusqu'au lendemain de la guerre, il écrit des poèmes sans se soucier de leur publication. Ce n'est qu'en 1946 qu'ils sont rassemblés dans le recueil intitulé Paroles. Dès lors, il en publie de nouveaux qui sont tout aussi hétéroclites : Spectacle en 1951, La Pluie et le Beau Temps en 1955, puis Fatras en 1965. Bon nombre de poèmes de Prévert furent mis en musique par Joseph Kosma, et chantés par Yves Montand. Il meurt en 1977.

Prévert a trouvé dans le surréalisme une nouvelle manière de traiter le langage poétique. Mais il a su adapter les principes surréalistes, comme le collage par exemple, ou l'accumulation, à sa poésie qui se veut opposée à tout intellectualisme gratuit. Ses thèmes privilégiés sont les choses de la vie quotidienne, les petits et les grands événements, les amis et les amours, les animaux, ou encore les objets usuels. Mais son anticonformisme le conduit également à aborder dans sa poésie des préoccupations plus graves comme l'injustice, ou la liberté offensée. Dans une langue claire et directe, qui joue avec les mots comme avec les impressions, Prévert compose des poèmes aussi bien ironiques et corrosifs, que tendres, ou pathétiques. Dans ses recueils, les poèmes nous font passer d'un ton à l'autre, sans aucune cohérence apparente. De la même manière, la succession des vers nous fait souvent passer du coq à l'âne sans pour autant que le lecteur, même s'il est dérouté, se perde. Car Prévert écrit pour tous, petits ou grands, universitaires ou écoliers, hommes politiques ou simples artisans. Il ne conçoit pas ses poèmes comme l'expression d'un art réservé à un public averti. Il veut qu'ils puissent être lus par tous, ou chantés comme autant de ritournelles qui rendent le quotidien plus exceptionnel, et l'exceptionnel, plus quotidien. Son succès populaire jamais démenti prouve qu'il a parfaitement réussi cette tâche. Mais, derrière la spontanéité apparente de Prévert, n'oublions pas qu'il y a une formidable maîtrise de la langue, des effets qu'elle produit, ce en quoi il excellait déjà dans son travail de dialoguiste au cinéma.


Œuvres principales :



• Paroles (1946).

• Histoires (1946).

• Spectacle (1951).

• La Pluie et le Beau Temps (1955).

• Fatras (1965).

• Imaginaires (1970).

• Choses et autres (1972).

• Hébdromadaires (1972).

• Arbres (1976).

MALRAUX (André), 1901-1976

André Malraux est né en 1901 à Montmartre. Vers l'âge de vingt ans, il étudie l'Histoire de l'art au musée Guimet et à l'école du Louvre. Il se rapproche du groupe des surréalistes où il fait la connaissance de Max Jacob, de Fernand Léger, d'André Derain et de Maurice de Vlaminck, puis de Picasso. Il compose des textes surréalistes : Lunes en papier en 1921, et Royaume farfelu qui sera publié en 1928. Il part pour le Cambodge en 1923, où il est accusé d'un vol de statues dans un temple khmère, puis condamné. Il revient en France en 1924, mais repart pour l'Indochine l'année suivante. À son retour en France, il participe à la vie littéraire et écrit La Tentation de l'Occident (1926). Il voyage en Perse, en Afghanistan, en Inde, aux États-Unis ou encore au Japon. Il écrit ses premiers romans où il s'inspire de ses souvenirs d'Asie : Les Conquérants (1928), La Voie royale (1930), puis La Condition humaine qui obtient le prix Goncourt en 1933. Il se rapproche du parti communiste et participe en 1934 au congrès international des écrivains. Il rejoint les forces républicaines dès le début de la guerre civile espagnole. Cet épisode de sa vie lui inspire un nouveau roman, L'Espoir, publié en 1937, qui sera adapté à l'écran l'année suivante. Durant la Seconde Guerre mondiale, il s'engage dans les chars, mais est fait prisonnier. Il parvient à s'évader, regagne la zone libre, et entre bientôt dans la Résistance où il commande le maquis de Corrèze en 1944. À la Libération, il rencontre le général de Gaulle, et milite pour son parti, le Rassemblement du peuple français (R.P.F.). Durant les années d'après-guerre, il se tourne vers l'art et publie des essais : Le Musée imaginaire (1947), les trois volumes de sa Psychologie de l'art (1948-1950), La Métamorphose des dieux 1956, et L'Homme précaire et la littérature qui sera publié en 1977, après sa mort. Il est nommé par de Gaulle ministre des Affaires culturelles en 1959, et le restera jusqu'en 1969. À la fin de sa vie, il écrit ses Antimémoires (1967) et d'autres recueils de souvenirs comme Les Chênes qu'on abat (1971). Il meurt en 1976.

La vie de Malraux ressemble à celle de ses personnages : aventurier, homme de guerre, intellectuel, ministre, il s'est impliqué dans tous les domaines de l'action. Cette énergie et cette volonté d'agir dans le monde correspondent étroitement à la vision de la condition humaine qu'il livre dans ses romans. Plongé dans un univers absurde, où la religion a périclité, l'homme occidental doit s'impliquer pour donner un sens à son existence. Il en va d'une lutte contre le destin, et contre le tragique moderne. Car, qu'elle soit politique ou artistique, l'action nous permet d'arracher un sens à la tragédie de notre existence. "L'art est anti-destin" dit-il dans Les Voix du silence. Créer, c'est toujours s'imposer dans le monde, ne pas le subir, et laisser une trace de sa lutte. L'immense travail de rassemblement des richesses de l'art, qu'il a mené dans sa Psychologie de l'art, ne fait que souligner ce besoin fondamental de l'homme de subsister, par-delà le temps de sa vie, dans les œuvres d'art qu'il crée.

Au retour sur soi-même que nous demande de pratiquer la psychanalyse, Malraux oppose une quête d'action. Le fatras des émotions héritées de notre enfance n'a pas, selon lui autant d'importance que la manière dont nous nous déterminons dans le présent de notre vie. Cette volonté d'aller à l'encontre du temps, qui nous conduit inexorablement vers la mort, est conçue comme une lutte perpétuelle. L'homme, pour Malraux, n'apprend à se connaître lui-même qu'en se dépassant ; et, par là, il acquiert sa grandeur. L'histoire d'un homme est donc celle de sa capacité à transformer le monde.


Malraux illustre cette conception du monde en présentant la vie des personnages de ses romans comme articulée autour de grands moments. Leurs psychologies sont, comme dans les romans américains, peu décrites. Ce qui préserve une part de mystère quant à leur personnalité. Le héros de Malraux n'est jamais prédéterminé à agir. Le personnage de Kyo dans La Condition humaine, par exemple, incarne cette lutte pour la dignité. Toute son action est animée par le désir de redonner à ses compagnons cette grandeur qu'ils ont en eux, et que le joug de l'oppression leur a fait oublier. D'autres romans, comme L'Espoir, multiplient les scènes de bravoure. L'action y envahit tout l'espace du récit romanesque. Mais, chacun à sa manière, les romans de Malraux, comme ses essais, cherchent à proposer un nouvel humanisme où la pleine conscience de notre condition soit une raison de fierté, et non pas de honte.


Œuvres principales :


• Lunes en papier (1921).

• La Tentation de l'Occident (1926).

• Royaume farfelu (1928).

• Les Conquérants (1928).

• La Voie royale (1930).

• La Condition humaine (1933).

• Le Temps du mépris (1935).

• L'Espoir (1937)

• Les Noyers de l'Altenburg (1943).

• Esquisse d'une psychologie du cinéma (1946).

• Le Musée imaginaire (1947).

• La Création artistique (1948).

• La Monnaie de l'absolu (1949).

• Saturne (1950).

• Les Voix du silence (1951).

• La Métamorphose des dieux (trois volumes : 1957, 1974, 1976).

• Miroir des limbes

1er tome : Antimémoires (1967)

2e tome : La Corde et les Souris comprenant Les Chênes qu'on abat (1969) ; La tête d'obsidienne (1974) ; Lazare (1974) ; Hôtes de passages (1975)

• L'Homme précaire et la littérature (publication posthume, 1977).

QUENEAU (Raymond), 1903-1976


Raymond Queneau est né au Havre en 1903. Après des études au lycée de cette ville, il prépare à Paris une licence de philosophie, qu'il obtient en 1925. Il participe au mouvement surréaliste et collabore à la revue La Révolution surréaliste. Il fait son service militaire entre 1925 et 1927 en Algérie et au Maroc, épisode de sa vie qui lui inspirera le récit Odile (1937). Il s'intéresse également à l'histoire des religions et, à cette occasion, collabore avec Georges Bataille. Il publie son premier roman, Le Chiendent, en 1933, puis Gueule de pierre l'année suivante. Son goût pour les personnages insolites de fiction marquera ses œuvres en prose comme Pierrot mon ami (1942), Loin de Rueil (1944), Zazie dans le métro (1959), ou encore Les Fleurs bleues (1965). À partir de 1938, il travaille aux éditions Gallimard où il est tout d'abord lecteur, puis secrétaire général. Il dirige, à partir de 1955, la réalisation de l'Encyclopédie de la Pléiade. Depuis sa participation au mouvement surréaliste, Queneau expérimente des manières de renouveler la langue française, notamment en y introduisant l'argot, mais aussi en la soumettant à des règles d'écriture comme, par exemple, celle de la variation dans Exercices de style, publié en 1947. Il théorise ses idées et les illustre dans Bâtons, Chiffres et Lettres qui paraît pour la première fois en 1950 puis dans une édition profondément remaniée en 1965. Avec François Le Lionnais, il fonde en 1960 l'Ouvroir de littérature potentielle, également appelé l'Oulipo, qui rassemble des écrivains et des mathématiciens. Cette association est un lieu d'expérimentation littéraire. Il meurt en 1976.

L'œuvre de Queneau se veut expérimentale, bien qu'elle puisse être lue sans que l'on sente automatiquement qu'elle l'est. À la différence de nombreuses expérimentations littéraires, elle est menée comme un jeu. Aussi le résultat est-il souvent extrêmement drôle. Que ce soit dans ses récits ou dans ses poèmes, Queneau cherche à renouveler la langue française en la calquant sur la manière dont les gens parlent. Utilisant lui-même la comparaison avec le latin qui, en perdant peu à peu de sa complexité, est devenu le français, il estime que la prétendue dégénérescence du français donne naissance à une nouvelle langue qui n'est ni mieux ni pire que la précédente. Ainsi, contre les grammairiens et les puristes, il milite en faveur d'une utilisation littéraire de l'argot, et des fautes de grammaire et de syntaxe ! La littérature se doit de témoigner de l'évolution des mots.

Mais, outre cet aspect sémantique et syntaxique, Queneau est surtout célèbre pour ses "exercices de style". En effet, il remet en question la conception classique de l'inspiration en s'obligeant à adopter un principe formel d'écriture. Parmi les nombreuses règles d'écriture expérimentées, il y a par exemple : s'interdire l'emploi d'une voyelle de l'alphabet ; emplacer systématiquement le sujet de la phrase par son complément et réciproquement ; remplacer les substantifs par le septième mot qui suit dans un dictionnaire ; récrire quatre-vingt dix-neuf fois le même récit d'un incident ; élaborer la structure d'un roman selon les règles de la combinatoire ; éliminer les rimes d'un sonnet ; ou encore remplacer un adjectif par son contraire. Le résultat est étonnant, mais n'est jamais incohérent : les phrases gardent toujours un sens, même si celui-ci est déplacé ou absurde.

Ces jeux de langage renouent avec le divertissement surréaliste du " cadavre exquis ". Dans ce jeu, chaque participant écrit un segment de phrase sans savoir ce que les autres ont écrit. La phrase finale est, le plus souvent, désopilante. Le recueil intitulé Cent Mille Milliards de poèmes (1961) propose justement dix sonnets où chaque vers est présenté comme une languette que le lecteur peut soulever à sa guise. Cette présentation permet de créer cent mille milliards de sonnets différents, puisque l'on peut faire jouer indéfiniment les différentes combinaisons de languettes. L'Ouvroir de littérature potentielle, qui réunit les amateurs de tels jeux logiques, dont George Perec par exemple, est bel et bien un laboratoire de la langue française.


Œuvres principales :


• Le Chiendent (1933).

• Les Derniers jours (1936).

• Un rude hiver (1939).

• Les Temps mêlés (1941).

• Pierrot mon ami (1942).

• Loin de Reuil 1(944).

• Les Ziaux (1943)

• Exercices de style (1947).

• Bâtons, Chiffres et Lettres (1950).

• Le Dimanche de la vie (1952).

• Zazie dans le métro (1959).

• Cent Mille Milliards de poèmes (1961).

• Les Fleurs bleues (1965).

• Battre la campagne (1968).

• Le Vol d'Icare (1968).

• La Littérature potentielle (1973).

• Morale élémentaire (1975).



SARTRE (Jean-Paul), 1905-1980


Jean-Paul Sartre est né à Paris en 1905. Orphelin de père très tôt, il est élevé par sa mère et ses grands-parents. Il fait ses études au lycée Henri IV, puis à l'École Normale Supérieure, et réussit l'agrégation. Il fait la connaissance de Simone de Beauvoir en 1929. Il restera lié avec elle durant toute sa vie. Il commence à enseigner au Havre, puis part continuer ses études à Berlin en 1933-1934. Il publie en 1938 La Nausée, roman qui retrace, sous forme d'un journal, le malaise existentiel du héros, Antoine Roquentin. Un an plus tard, il publie un recueil de cinq nouvelles, intitulé Le Mur. Dans ces deux ouvrages sont déjà présentes les principales intuitions que développeront ses écrits philosophiques, notamment L'Être et le Néant (1943). Sartre compose plusieurs pièces de théâtre, en particulier Les Mouches (1943), Huis clos (1944), Les Mains sales (1948), et Le Diable et le Bon Dieu (1951). Il écrit également, entre 1945 et 1949, les trois romans des Chemins de la liberté. Il commence à vivre de sa plume durant cette période. Le succès de sa doctrine, l'existentialisme, lui confère rapidement une grand notoriété dans les milieux littéraires. Mettant en pratique ses propres théories, Sartre est un intellectuel militant qui n'hésite pas à s'engager dans la vie publique pour défendre les libertés individuelles. Il est à l'origine de la revue Les Temps modernes, puis de La Cause du peuple et de Libération. Enfin, il compose de nombreux essais, qui sont dans une position intermédiaire entre son œuvre philosophique et son travail littéraire. Citons, en particulier, ses études sur Baudelaire (1947), Jean Genet (Saint-Genet, comédien et martyr, 1952), et Flaubert (L'Idiot de la famille, 1971-1972). C'est en 1964 que paraissent Les Mots où Sartre jette un regard sur son enfance, et renouvelle le genre autobiographique. La même année, il refuse le prix Nobel de littérature. Il devient presque aveugle en 1973. Son activité littéraire se tarit, et il meurt en 1980.

Les écrits littéraires de Sartre sont en étroite relation avec sa pensée philosophique. Grâce à son théâtre et à ses romans, il illustre sa doctrine, inspirée de la philosophie de Husserl et de Heidegger. Il est vrai que l'existentialisme se prête parfaitement à la fiction : l'homme y est défini comme un être qui, plongé dans un univers absurde, cherche à donner un sens à son existence. Ce sens, il le subit dans le regard que les autres portent sur lui, mais l'affirme grâce à l'action qui lui permet de se transcender dans un engagement. Aussi, dès La Nausée, Roquentin représente cet homme en proie à la torpeur de l'absurdité de l'existence. Il ne parvient à s'en dégager qu'en décidant d'écrire une œuvre capable de transfigurer cette angoisse.

De manière analogue, Sartre nourrit son théâtre de ses conceptions philosophiques. Ainsi, dans Huis clos, il met en scène la rencontre en enfer de trois personnages trépassés. La célèbre formule "L'enfer, c'est les autres", y résume l'idée que la pire souffrance qui puisse exister n'est pas physique mais morale : le regard d'autrui qui me juge et réduit mes actes à leur implacable objectivité. Toutefois, ce n'est pas là le point final, car, comme le dit le personnage d'Inès à l'adresse de Garcin, "Tu n'es rien d'autre que ta vie", et cette formule illustre l'idée que seule l'action nous détermine. Ces conceptions, qui peuvent paraître parfois abstraites au lecteur et au spectateur, ont une portée littéraire. En effet, Sartre veut présenter les personnages de ses récits comme des êtres aussi libres que nous le sommes. Il refuse de se placer en surplomb. Il ne veut pas que l'auteur soit comme un démiurge qui fait se mouvoir ses personnages comme s'ils étaient prédestinés à connaître tel ou tel sort. Ainsi l'action est-elle toujours à venir, et chaque événement est en lui-même isolé, car il ne correspond pas à une vision finaliste. Sartre veut fonder une littérature de la liberté.

Bien que représentatifs d'une littérature d'idées, les nouvelles, les drames et les romans de Sartre sont marqués par un ton souvent corrosif et une vitalité qui tranchent avec l'abstraction de ses écrits philosophiques : cela est particulièrement sensible dans Les Mots. Le projet de Sartre y est d'expliquer quels sont les événements vécus durant son enfance qui l'ont conduit à écrire. La division de cette œuvre en deux moments, Lire et Écrire, souligne ce passage à l'écriture. Après l'étude de Baudelaire et Genet, Sartre retourne sa "psychanalyse existentielle" contre lui-même. Il s'oblige ainsi à repenser le sens qu'il donne à son œuvre, et à relativiser la portée de ses idées centrales à la lumière de la "névrose" qui a présidé à leur naissance. Cette autobiographie a ainsi quelque chose d'unique qui lui fait parfois se mettre en scène avec une certaine auto-dérision.

Œuvres principales :


Philosophie :


• L'Imagination (1936).

• L'imaginaire (1940)

• L'Être et le Néant (1943).

• L'existentialisme est un humanisme (1946).

• Critique de la raison dialectique (1960).

• Situations (1947-1976).

Littérature :

Romans et nouvelles :

• La Nausée (1938).

• Le Mur (1939).

• Les Chemins de la liberté : • L'Âge de raison (1945).

• Le Sursis (1945).

• La Mort dans l'âme (1949).

Théâtre :

• Les Mouches (1943).

• Huis clos (1944).

• Morts sans sépulture (1946).

• La Putain respectueuse (1946).

• Les Mains sales (1948).

• Le Diable et le Bon Dieu (1951).

• Kean (1953).

• Les Séquestrés d'Altona (1959).


Essais :

• Baudelaire (1947).

• Saint Genet, comédien et martyr (1952).

• L'Idiot de la famille (1971-1972).


Autobiographie :

• Les Mots (1964).


IONESCO (Eugène), 1912-1994


Eugène Ionesco est né en Roumanie en 1912, d'un père roumain et d'une mère française. Après plusieurs années passées à Paris, il retourne en Roumanie où il fait ses études et devient professeur de français. Il s'installe définitivement en France juste avant la guerre. Il compose sa première pièce, La Cantatrice chauve en 1950. Elle sera suivie d'autres pièces courtes et volontairement incohérentes, comme Jacques ou la Soumission écrite la même année, ou encore La Leçon, l'année suivante. Mais, entre 1952 et 1954, il compose trois nouveaux drames qui témoignent d'un renouvellement de son inspiration. Les Chaises, Victime du devoir, et Amédée ou comment s'en débarrasser installent l'absurde au cœur d'une intrigue qui, très dépouillée, n'en fait que davantage ressortir la dimension tragique. À partir de Rhinocéros, en 1959, qui fut très bien accueilli par la critique, Ionesco radicalise ce tragique. Le personnage de Béranger, qui réapparaît dans Le Piéton de l'air et Le Roi se meurt, composés en 1962, n'est plus un personnage mécanique et dénué d'intériorité comme dans les pièces précédentes. Il est conscient de sa souffrance et de l'absurdité du monde. Le mélange d'angoisse et de comique se polarise ici sur le thème de la mort, comme ce sera également le cas dans Le Roi se meurt (1962) ou Jeux de massacres (1970), qui met en scène la réaction des habitants d'une ville durant une épidémie de peste. Ionesco livre les clefs d'interprétation de son œuvre dans son Journal en miettes (1967-1968). Il est reçu à l'Académie française en 1970. Il s'essaye également au genre romanesque en composant Le Solitaire en 1973. Il meurt en 1994.

Ionesco est probablement le dramaturge le plus emblématique de ce qu'est le théâtre de l'absurde. Les personnages de ses pièces vivent l'absurde : ce sont, dans les premières pièces, des pantins qui n'ont ni autonomie, ni volonté, ni distance par rapport à ce qu'ils vivent. Le langage est lui-même devenu absurde. Les personnages ne cherchent plus à dire quelque chose, ou à transmettre un message, ils se raccrochent à un langage qui s'effondre. Les intrigues tendent ainsi à s'effacer derrière la place envahissante prise par le langage. Inspiré par la méthode Assimil, Ionesco met en scène, dans La Cantatrice chauve, une inflation de lieux communs et de phrases toutes faites. Dans La Leçon, le professeur ne fait qu'accumuler des inepties. Les mots, qui sont pourtant l'un des matériaux les plus essentiel du théâtre, ne structurent plus rien.

Mais cette remise en question du langage dramatique n'est pas le seul procédé auquel Ionesco ait recours. L'accumulation des objets matériels, comme des chaises dans la pièce du même nom, renforcent cette idée que les personnages vivent dans une univers absurde où la prolifération des objets est le seul moyen illusoire qui leur permette de préserver un sens à leur vie. Comme il le dit lui-même dans Notes et contrenotes, "le trop de présence des objets exprime l'absence spirituelle".

La métamorphose est également un moyen de dire l'absurde. Inspiré par Kafka, Rhinocéros est une allégorie du fascisme et de tous les totalitarismes. Une maladie contagieuse se développe dans une ville. Les habitants qui en sont victimes se transforment en rhinocéros. La communication devient impossible, et Béranger reste le dernier être humain. Une nouvelle fois, l'absurdité du monde est désignée de manière détournée.

La richesse et l'ambiguïté des pièces de Ionesco tiennent au fait qu'elles refusent la distinction entre le comique et le tragique. Ce sont des farces métaphysiques où les personnages sont à la fois clownesques, et en proie à une fatalité aveugle. Le spectateur rit autant de leur absurdité, qu'il est affecté par le pathétique de leur situation. Le Roi se meurt est sans doute l'une des pièces où cette contradiction, riche en effets dramatiques, est la plus explicite. Toute la pièce se concentre sur cet homme ordinaire, que l'auteur désigne comme étant un roi, à qui l'on apprend une évidence : il va mourir. Avec lui, le monde entier est sur le point de disparaître. Aussi la pièce se déroule-t-elle comme une succession de renonciations, et ce n'est que lorsqu'il a renoncé à tout, aux choses les plus graves, comme aux choses les plus triviales, qu'il meurt. Cette agonie est à l'image du théâtre de Ionesco : angoissée et drôle.

Œuvres principales :


• La Cantatrice chauve (1950).

• Les Chaises (1952).

• Victime du devoir (1953).

• Amédée ou comment s'en débarrasser (1954).

• Tueur sans gage (1959).

• Rhinocéros (1959).

• Le Roi se meurt (1962).

• Le Piéton de l'air (1963).

• La Soif et la Faim (1966).

• Jeux de massacre (1970).

• Le Solitaire (1973).

• Journal en miettes (1967-1968).


CAMUS (Albert), 1913-1960


Albert Camus est né en Algérie, dans la province de Constantine. Élevé par sa mère dans un milieu défavorisé, il contracte la tuberculose à l'âge de seize ans. Après une interruption due à la maladie, il reprend ses études à l'Université. Il s'y enthousiasme aussi bien pour la philosophie que pour le théâtre et le journalisme. En 1937, il publie son premier ouvrage, L'Envers et l'Endroit, puis un recueil de récits intitulé Noces, l'année suivante. Durant la guerre, il cherche à se faire enrôler, mais sans succès. Il quitte Alger pour Paris et, là, s'engage dans la Résistance avant de devenir rédacteur en chef du journal Combat. Marqué par les événements de son époque, par la tristesse des banlieues où il vit, et influencé par la lecture des philosophes allemands existentialistes, Camus développe l'idée de l'absurdité de la condition humaine. Le roman L'Étranger (1942), l'essai Le Mythe de Sisyphe (1942), ou encore la pièce de théâtre Caligula (1945), ont en commun ce thème d'inspiration. Mais, à cette période pessimiste qu'il désignera lui-même sous le nom de "cycle de l'absurde", Camus oppose, dans ses écrits suivants, une farouche volonté de lutter. L'action, la création, la volonté de vivre sont les seuls moyens de nous arracher à l'absurde. La publication de La Peste en 1947, puis de L'Homme révolté en 1951, marque ce tournant de sa pensée. Mais ce nouvel optimisme est en proie à une perpétuelle remise en question, ce que ne cesse de souligner la polémique qui l'oppose à Sartre. Ses derniers écrits, et en particulier La Chute, publiée en 1956, de même que ses Carnets publiés de façon posthume, témoignent de ces hésitations. Celui en qui ses contemporains découvraient un nouvel humaniste obtient le prix Nobel en 1956. Mais il meurt tragiquement dans un accident de voiture en 1960.

Camus a placé au cœur de son œuvre une question : pouvons-nous vaincre l'absurdité de notre condition ? Cette question radicale semble ne jamais quitter son œuvre. Dès Noces, qui pourtant se distingue des œuvres qui suivront par son ton lyrique, une inquiétude existentielle est déjà présente. L'Étranger confirme cette inquiétude. Avec une écriture " blanche " qui s'accorde étroitement au récit, Camus dresse la chronique de la vie d'un employé banal qui, sans l'avoir jamais prémédité, tue un Arabe et se voit condamné à mort. Étranger au monde, comme étranger à sa propre vie, il contemple avec indifférence les événements qui pourtant le concernent. L'absurde est ici peint sous les traits de l'abandon. Il n'y a pas de sens dans ce monde, car le sens appartient à ceux qui jugent et condamnent à mort.

Mais, dans Caligula, le thème de l'absurde devient déjà plus complexe. Il est incarné dans la figure de l'empereur qui, à la suite de la mort de la femme aimée, découvre la vanité de tout. Il conçoit le projet terrifiant d'être aussi logique, cruel, et implacable que le destin lui-même. Il pousse ainsi ses sujets à se révolter contre lui et, en le tuant, à retrouver leur liberté. Car il existe un contrepoids à l'absurdité de la vie : la fraternité des hommes. Mais cette fraternité que Camus illustre dans La Peste, en faisant le récit du combat du docteur Rieux et de Tarrou contre l'épidémie, quelle est-elle ? Existe-t-elle vraiment quelque part ? Ces questions hantent l'esprit de Camus durant les dernières années de sa vie. Aussi en arrive-t-il à confier qu'il se sent dépassé par sa propre œuvre, et qu'il est incapable de répondre aux questions qu'il pose. Ce constat d'échec, que certains lui reprochent, est pourtant à l'image de son propre questionnement. En interrogeant l'absurde, il se heurte au tragique. Et, par la même, à la question du rapport entre le destin et la liberté des hommes. Ainsi, après avoir réactivé le mythe de la fatalité qu'incarne Sisyphe, puis celui de la révolte qu'incarne Prométhée, Camus consacre le dernier moment de son œuvre à la recherche de la juste mesure, recherche que Némésis symbolise. Cette dernière note d'une œuvre inachevée laisse penser que c'est peut-être dans cette mesure que réside la solution d'un problème que toute l'œuvre de Camus n'a cessé de répéter.


Œuvres principales :



Théâtre :


• Caligula (1945, revu en 1958).

• Les Justes (1949).

• L'État de siège (1948).

• Le Malentendu (1942-1943).


Essais :

• L'Envers et l'Endroit (1937).

• Le Mythe de Sisyphe (1942).

• Lettres à un ami allemand (1945).

• Actuelles (1950-1958).

• L'Homme révolté (1951).

• L'Été (1954).

Romans et nouvelles :


• Noces (1939).

• L'Étranger (1942).

• La Peste (1947).

• La Chute (1956).

• Le Premier Homme (posthume, 1993).